Controverses sur la divinité du Christ...

... comment s'est construite la doctrine officielle.

Bilan des premiers siècles de notre ère. Article à mettre en relation avec d'autres déjà publiés.


Après la mort de Jésus, la prédication des apôtres et des premiers chrétiens commença. Ils voyagèrent et s'adressèrent séparément à des peuples ayant des traditions et un mode de pensée qui ne sont jamais identiques. Ainsi, selon qu'ils s'adressaient à des communautés juives ou à des romains, les apôtres ne disaient pas la même chose, ce qui a pour conséquence directe la création d'un nombre important de communautés chrétiennes dont les croyances en ce qui concerne Jésus-Christ ne sont pas identiques.

Le second fait qui explique cette grande diversité dans le christianisme naissant est que Jésus-Christ lui-même n'a jamais écrit ou précisé ce qu'il convenait de croire quant à sa nature et à son rôle exact. Ce sont les apôtres et ceux qui ont recueilli les paroles des apôtres qui ont retranscrit son enseignement et ses paroles. Si on lit les quatre Evangiles, on s'aperçoit très vite que Jésus ne dit jamais qu'il est le Fils de Dieu. Paradoxalement ce sont les démons et le Diable qui l'appellent ainsi (Mc 3, 17 ; Mt 4, 3 ; Mt 4, 6 ...). Mais Jésus n'affirme ni n'infirme ces paroles, de sorte que le doute reste entier et que les croyants tenteront eux-mêmes d'expliquer qui est réellement le Christ. Le résultat donna naissance à de nombreux courant de pensée (ou kérygmes) dont aucun n'est à priori faux, et la tâche de l'Eglise sera de constituer son Credo sur le Christ en tenant compte des diverses traditions qu'elle rencontrera de Rome à Alexandrie, d'Alexandrie à Antioche. Elle devra trouver et affirmer ce qu'est réellement le Christ en satisfaisant la grande majorité des chrétiens et ainsi unifier l'Eglise.

--lire auparavant article sur l'ébionisme, le gnosticisme, le monarchianisme--

Les premiers débats théologiques se sont faits sans trop de heurts, car, pendant les premiers siècles, l'Eglise n'a combattu que contre des mouvement de pensée qui sont en grande contradiction avec les Ecrits canons. La position de l'Eglise était donc prévisible et la condamnation de l'ébionisme (Jésus simple prophète continuant la lignée des prophètes juifs), du docétisme (gnosticisme : le Christ est un être divin, il n'y a pas de véritable incarnation) et des mouvements radicaux du monarchianisme (le Christ est une émanation du Père) évidente. De plus, ces mouvements n'ont jamais divisé réellement la chrétienté naissante, dont les chefs les ont unanimement rejetés et les ont mis au ban du christianisme. Ainsi écartés, certains chefs de ces mouvements ont quelques fois tenté de créer une seconde Eglise, comme l'a fait Marcion (dont la doctrine s'appuie sur la différence entre le Dieu de l'Ancien et le Dieu du Nouveau Testament). Cependant, trop isolées, largement minoritaires, ces Eglises ont très vite périclité jusqu'à disparaître totalement.

A partir de ces condamnations, l'Eglise a ainsi commencé à définir le personnage du Christ. Contre l'ébionisme, l'Eglise a affirmé que le Christ n'était pas un simple prophète mais aussi un être divin. Contre le docétisme et le gnosticisme, l'Eglise s'est appuyée sur la réalité de l'Incarnation, faisant du Christ un être divin qui a pris chair. Et enfin par rapport à l'adoptianisme et au patripassianisme l'Eglise a affirmé la préexistence du Fils avant l'Incarnation et sa distinction en tant que personne par rapport au Père.

Les débats suivants ont été plus violents, car l'Eglise ne pouvait pas s'appuyer sur des textes. En effet, elle était obligée de s'avancer en terrain hasardeux, ce qui explique aussi la violence des débats qui ont déchiré la chrétienté naissante. Les évêques ont tenté surtout de se mettre d'accord sur un point : le Christ a-t-il été engendré ou a-t-il été créé par le Père ? Est-il une créature inférieure ou égale à son Père ?

1. Le concile de Nicée (325) en réponse à l'arianisme

--lire l'article correspondant--

(Christ est inférieur au Père car engendré par celui-ci)
C'est le premier concile œcuménique du christianisme, il fut convoqué par l'empereur Constantin en 325. Les ariens eurent les premiers la parole après le discours inaugural de l'empereur mais leur profession de foi fut rejetée. Eusèbe de Césarée présenta la sienne et les exhorta à trouver une formule de foi convenant à tous. Après de longues et difficiles délibérations, les formules traditionnelles furent précisées dans un sens antiarien jusqu'à arriver à la formule suivante concernant la divinité du Fils : " Engendré par le Père vrai Dieu né de vrai Dieu, il lui est consubstantiel " (homoousios). Sous la menace d'un anathème, l'empereur réussi à faire accepter aux ariens présents la formule. Seuls deux évêques et Arius refusèrent de signer : ils furent donc déposés, excommuniés et exilés en Illyrie.

Ainsi, le concile de Nicée proclamait la divinité du Fils ou son égalité avec le Père en s'appuyant sur le terme homoousios , qui pourtant n'était pas scripturaire. Le concile de Nicée laissa une insatisfaction latente. Les ariens reprirent de plus belle leurs prêches.

2. Les conciles d'Antioche (341) et Rimini-Séleucie (359-360)

Lors du concile d'Antioche réunissant 97 évêques orientaux, quatre professions de foi furent rédigées pour répondre aux accusations d'arianisme qui avaient été proférées contre eux. La formule officielle de ce concile témoigne du problème que pose le terme d' homoousios, car elle le passe sous silence et déclare que " le Fils est seul Dieu engendré avant tous les siècles, il est l'image adéquate de la divinité ". Cette formule est bien une condamnation de l'arianisme, l'accent est mis sur la divinité du Christ, mais il reste tout de même légèrement subordonné au Père.

Quelques années plus tard, l'empereur Constance convoqua deux conciles parallèlement, l'un à Rimini pour l'Occident, l'autre à Séleucie pour l'Orient. Le but de l'empereur était de rétablir la paix dans l'Eglise, qui était alors profondément divisée. A Rimini, les antiariens étaient largement majoritaires, et ils affirmèrent la validité de la formule nicéenne, y compris l' homoousios . Mais l'empereur voulait une formule de compromis, et il força les évêques à signer une formule de foi où le Fils était dit " semblable " au Père, sans toutefois dire en quoi il était semblable. Cette formule fut considérée comme une grande victoire par les ariens, car elle pouvait être interprétée comme en accord avec leur doctrine.

A Séleucie, le même scénario se répéta car, malgré la majorité antiarienne, les évêques furent obligés par l'empereur à adopter la même formule que lors du concile de Rimini.

Ce ne fut qu'en 381, lors du concile de Constantinople qui fut convoqué par l'empereur Théodose I, que le Credo du concile de Nicée fut entériné. Les évêques affirmèrent l'unique essence du Père, du Fils et de l'Esprit Saint avec le terme homoousios . Les ariens furent condamnés ainsi que les anoméens ( qui représentaient une forme encore plus radicale de l'arianisme ), les sabelliens, les photoniens et les apollinaristes. Ce concile mit définitivement fin à la querelle arienne, et fut approuvé par l'Empereur.

3. Alexandrie contre Constantinople. Cyrille contre Nestorius

Alors que le IVème siècle était le siècle des controverses dites " trinitaires ", qui tentaient de définir les rapports entre le Père, le Fils et l'Esprit Saint, le Vème siècle fut purement " christologique ", car le problème était de savoir de quelle façon la divinité et la nature humaine étaient associées dans le Christ.

Deux tendances se précisèrent rapidement : la première était le monophysisme qui pensait que les deux natures du Christ se sont fondues en une seule dans le Christ ; la seconde, le diphysisme, pensait que les deux natures étaient présentes dans le Christ.

Le débat commença avec Apollinaire de Laocidée, mais la véritable controverse christologique débuta entre Nestorius, évêque de Constantinople et Cyrille évêque d'Alexandrie.

Nestorius était évêque de Constantinople. Dans ses sermons, il mit l'accent sur la distinction des deux natures dans le Christ, qui forment en quelque sorte deux personnes. Cyrille était évêque d'Alexandrie. Il soutenait quant à lui que les deux natures, humaine et divine, ne font plus qu'une dans le Christ. La querelle commença entre ces deux hommes lorsque Nestorius s'attaqua dans ses sermons à l'expression " mère de Dieu ", qui désignait Marie et lui semblait blasphématoire. Il préférait l'appellation " mère du Christ " ou " Mère de l'homme Jésus ". Ces positions soulevèrent l'hostilité de Cyrille et, après un échange de lettres, ils firent appel au pape Célestin, qui convoqua un Synode en 430. Le synode condamna Nestorius et confirma l'expression " mère de Dieu ". Le pape demanda également à Cyrille de notifier à Nestorius sa condamnation. Cyrille le fit sans ménagement, et ajouta même douze anathèmes qui contraignaient Nestorius à accepter les particularités théologiques de l'école d'Alexandrie. Nestorius refusa et porta l'affaire devant l'empereur Théodose II.

Un concile fut convoqué à Ephèse et, alors que de nombreux évêques favorables à Nestorius étaient à quelques jours de la ville, Cyrille commença le concile afin de s'assurer la victoire. Le fonctionnaire impérial eut beau protester, Cyrille fit la sourde oreille. En une seule séance, les textes de Cyrille furent approuvés et Nestorius fut condamné et déposé. Deux jours plus tard les évêques orientaux arrivèrent, se plaignirent et déposèrent Cyrille et Memnon. Les envoyés du pape Célestin approuvèrent Cyrille et déposèrent les trente-quatre évêques orientaux. L'empereur approuva les dépositions de Nestorius, Cyrille et Memnon mais refusa toutes les autres décisions. La nouvelle arriva trop tard pour Cyrille, qui était retourné dans un monastère et y resta jusqu'à la fin de sa vie.

La doctrine de Cyrille dit en substance que les deux natures, humaine et divine, se sont unies pour n'en faire qu'une dans la personne du Christ, c'est-à-dire qu'il n'y a au final qu'une seule hypostase, divine, qui a absorbé les caractéristiques de la nature humaine. A Constantinople, cette doctrine était enseignée avec maladresse par le moine Eutychès. Plusieurs fois attaqué, ce moine dutt se présenter devant le petit synode où il affirma que le Christ n'était pas homoousios à nous. Il fut condamné, car il refusait la réelle humanité du Christ.

Le successeur de Cyrille, Dioscore, réagit avec violence à cette condamnation, et réussit à obtenir le soutien de l'Empereur lors du concile d'Ephèse de 449. Euychès fut lavé de toute accusation, et la christologie diphysite qui proclamait les deux natures, humaine et divine, dans le Christ après l'Incarnation, fut condamnée.

Mais la victoire du monophysisme fut brève : beaucoup s'y opposèrent car la nature humaine absorbée dans la nature divine a tendance à être sous-estimée.

Le concile de Chalcédoine donna la formule définitive de la foi. Elle nous dit : au sujet du Christ qu'il est " (...) un seul et même Fils Seigneur Jésus Christ, en deux natures (en dua physenin), sans confusion (asynchytôs) ni changement (atréptos), sans division (adiarétôs) ni séparation (achôristôs). La différence des deux natures n'est nullement supprimée par l'union, mais au contraire les propriétés de chaque nature restent sauves et se rencontrent en une seule personne ou hypostase, non pas dans un (Fils) partagé et divisé en deux personnes mais un seul et même Fils unique, Dieu, Verbe, Seigneur, Jésus Christ. (...) ".

Ainsi, les propriétés de chaque nature restent sauves mais appartiennent à une seule personne ou hypostase.
Cette définition permet au croyant d'affirmer sans contradiction que Jésus Christ est véritablement à la fois Dieu et son frère, et par là même son Sauveur.

L'héritage des conciles précédents est important. La définition finale reprend d'abord celles des conciles œcuméniques de Nicée et de Constantinople, puis elle ajoute la condamnation du Nestorianisme (en affirmant qu'il n'y a qu'une seule personne dans le Christ) ainsi que la proclamation de son inverse, le monophysisme (en affirmant que les deux natures sont bien présentes et distincte dans le Christ). Lors du Concile de Chalcédoine (460), la christologie parvint enfin à un équilibre qui synthétise l'apport des traditions théologiques d'Alexandrie, d'Antioche, et de Rome.

Conclusion

Par étapes successives, l'Eglise s'est construite et s'est homogénéisée en tenant compte des différentes traditions de l'Orient et de l'Occident. Cependant, toutes les Eglises n'ont pas accepté la formule finale du Concile de Chalcédoine, comme par exemple les Eglises d'Ethiopie, de Syrie ou d'Arménie, qui ont préféré suivre un développement indépendant du reste de la chrétienté. Certaines ont fini par être absorbées lors de la montée de l'Islam, mais d'autres ont subsisté, comme celle d'Ethiopie, dont le développement et la culture chrétienne ont suivi une route tout à fait originale et ont permis la conservation de certains textes qui auraient été perdus sinon.

On remarquera que la formation du Credo concernant le Christ ne s'est pas faite sans violence, surtout en ce qui concerne les IVe et Ve siècles, lorsque les débats furent les plus durs. Quelques siècles plus tard, Saint Augustin acheva de préciser le dogme christologique. Ces premiers siècles furent décisifs pour le christianisme car le dogme mais aussi le calendrier chrétien et l'organisation de l'Eglise même prirent forme à ce moment-là, et ce que les chrétiens célèbrent et croient aujourd'hui fut mis au point pendant ces premiers siècles. Bien entendu, le doute subsiste toujours car le dogme concernant le Christ ne s'appuie sur aucune déclaration de Jésus lui-même ou des apôtres, mais l'Eglise semble avoir trouvée la solution la plus adaptée et la plus simple. Sans basculer dans les extrêmes, l'Eglise s'est toujours attachée à apporter une réponse qui est la plus plausible pour les chrétiens.

 
 
~jamesB~
Publié le : 30/05/2006

 

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