Aux sombres héros de l'amer

Aux sombres héros de l'amer (Bertrand Cantat/Noir Désir)


"Aux sombres héros de l'amer" était, en 1989, le premier extrait de l'album "Veuillez rendre l'âme à qui elle appartient". C'était le premier grand succès du groupe Noir Désir, un succès qui les a fait passer pour un temps pour des marins chantants. Je propose une analyse de la chanson pour le démentir.

Pour comprendre la chanson, il ne suffit pas d'écouter la chanson, mais de lire aussi les paroles.

Premier Couplet (plus le refrain)

"Aux sombres héros de l'amer...". Le calembour n'est pas là que pour faire joli. Ces sombres héros sont en fait les poètes maudits du XIXème siècle qui étaient des héros parce qu'ils avaient osé se servir de leur amertume (d'où "l'amer") et de la noirceur (d'où le qualificatif "sombres") de leurs âmes ou de celle du monde dont on n'osait pas parler en poésie jusque là. C'est l'idée qu'avait Charles Baudelaire lorsqu'il parlait d'extraire la Beauté du Mal.

"...qui ont su traverser les océans du vide." Le vide, en poésie est le manque d'inspiration, comparé à des océans car les idées à la mode à cette époque étaient déjà utilisées et réutilisées. Il n'y avait aucune nouveauté, donc des "océans de vide" que ces poètes ont su traverser en puisant leur matière ailleurs.

"A la mémoire de nos frères dont les sanglots si longs faisaient couler l'acide". Cette chanson est dédiée à "la mémoire de nos frères", c'est une dédicace à ces poètes qui influencent Bertrand Cantat. Ensuite, les "sanglots si longs" sont un clin d'oeil à un poème de Verlaine, "Feuilles d'automnes", du recueil Poèmes Saturniens. Dans cette chanson, les sanglots si longs sont les souffrances qu'enduraient les poètes maudits qui étaient pour la plupart des alcooliques et des drogués (l'absinthe et le laudanum étant courant à l'époque). Ces souffrances faisaient couler l'acide, c'est à dire qu'elles étaient la source de leur inspiration. L'acide est la poésie qui en résulte, de la belle poésie mais "acide", malsaine. C'est là la théorie de Rimbaud selon laquelle la recherche de la poésie doit être une souffrance de l'âme et du corps pour se perdre dans les mondes inconnus de l'âme.

Ce qui nous conduit au refrain de la chanson: "Always lost in the sea" (toujours perdus en mer), car ils étaient continuellement "perdus" à cause des produits qu'ils consommaient et de leur égarement mental.

Deuxième Couplet

"Tout part toujours dans les flots au fond des nuits sereines, ne vois-tu rien venir?". La création poétique commence toujours par cet océan de l'âme où l'on se perd, c'est à dire dans une âme déjà sombre, mais pas encore tourmentée. Toutefois, le mot sereine ne serait là que pour créer une intertextualité avec un conte de Perrault : La Barbe Bleue, lorsque l'héroïne demande à sa soeur Anne (ressemblance phonétique avec "sereines"). "Ne vois-tu rien venir?". Ici, ce sont les lecteurs où admirateurs de ces poètes qui attendent dans le monde réel que les poètes reviennent pour créer une oeuvre poétique.

"Les naufragés et leurs peines qui jettent l'encre ici et arrêtent d'écrire". Le voyage a été long et difficile, ils en reviennent aussi faibles que des "naufragés", chargés de leurs peines accumulées, traduites en mots lorsqu'ils jettent l'encre (et non l'ancre) dans notre monde, puis meurent car trop affaiblis par l'alcool, la drogue et la folie ("arrêtent d'écrire").

Troisième Couplet

Ce couplet est le dernier (le suivant n'étant qu'une répétition du premier), et le plus difficile à interpréter.

" Ami, qu'on crève d'une absence ou qu'on crève un abcès, c'est le poison qui coule". Je pense que Bertrand Cantat veut dire que les souffrances, qu'elles soient physiques ou morales ne contiennent que du poison (l'acide du début).

"Certains nageaient sous les lignes de flottaison intimes à l'intérieur des foules". C'est une référence au fait que les poètes maudits touchaient également des points sensibles et "intimes" de l'âme des autres, de nous.

Conclusion

Cette chanson est un vibrant hommage aux poètes de la fin du XIXème siècle (Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Lautréamont...), comparés à des explorateurs des mondes inconnus, des "sombres héros".

Cette analyse a été faite avec ma vision de la chanson et ma culture personnelle sans aucune aide extérieure. Il se peut que j'aie fait des erreurs d'analyses ou oublié des éléments. N'hésitez pas à enrichir cet article.

 
 
~nouvo visionnaire~
Publié le : 30/03/2007

 

En cas de conflit avec cet article (problème de droits d'auteur, etc.) vous pouvez en demander la suppression auprès d'un administrateur du site.

Bravo ! J'aime beaucoup ton article !



~jamesB~ le 31-03-2007 à 00:00
 

Ravi qu'il te plaise. Pour un premier article, je reconnais que ce n'est pas si mal.



~nouvo visionnaire~ le 01-04-2007 à 00:00
 

Je voudrais te remercier, carroll ex nihilo pour ces précisions qui montrent que j'avais raison : avec ma seule culture, je passe à côté de certaines choses. Tes précisions valent bien mon article. Es-tu, comme moi, fan de Noir désir ? Si c'est le cas, je te conseille d'écouter la chanson "des armes"... un vrai bijou



~nouvo visionnaire~ le 03-04-2007 à 00:00
 

Désolée de te décevoir, nouvo visionnaire, mais non, je ne suis pas fan de Noir Désir. Je connais quelques chansons du groupe (celles qui passent à la radio en fait), mais je n'ai pas encore éprouvé le besoin de "creuser" ce qu'ils ont fait pas ailleurs. Promis, je le ferai un jour En tout cas, je suis ravie que mes quelques précisions aient éclairé ta chandelle



~carroll ex nihilo~ le 04-04-2007 à 00:00
 

La noirceur, le sombre, ne serait-ce pas également la bile noire connue sous le nom de mélancolie, considérée à l'époque de ces poètes comme une maladie ?

(En acupuncture chinoise :
L'amer est lié au coeur,
La tristesse est liée au poumon,
Le noir c'est la peur.)



~Elfe-avariel~ le 24-09-2007 à 00:00
 

Nouveau visionnaire, étant moi aussi un fan de Noir Désir, je voudrais juste ajouter que dans la chanson "des armes", le texte est de Leo Ferré.



~el_niño~ le 10-12-2007 à 00:00
 

Je le savais déjà. Il n'empêche, c'est une superbe chanson, même si ma préférée reste encore comme elle vient.



~nouvo visionnaire~ le 19-01-2008 à 00:00
 

Je pense que plus qu'un simple mais vibrant hommage rendu aux poètes maudits (ce qu'il a fait néanmoins en utilisant des parties de vers écrits par eux, dans sa chanson, comme pour montrer son appartenance à cette famille de poètes), Bertrand Cantat a voulu faire passer un tout autre message, celui de la dépendance aux drogues dures, de l'énorme travail sur eux que certains toxicomanes ont dû accomplir pour s'en sortir, mais aussi de certains autres qui en sont morts.

Dans cette chanson, si toutes les paroles font référence aux poètes maudits, elles n'en sont pas moins des métaphores de ce qu'endurent les toxicomanes lors d'une désintoxication, l'incommensurable (océan) douleur créée par le manque (le vide) mais aussi la mort par overdose, décidée ou pas.

Chaque phrase de cette chanson ne parle que de ça, à mon sens, avec le support de la poésie romantique. Et chaque phrase est une énigme dans sa construction, basée sur le thème de la vie (l'échappée) ou de la mort des usagers de drogues dures.

Je pense aussi que Bertrand Cantat parle d'amis, qu'il a connus, de gens qui lui ont été proches et qui soit s'en sont sortis, soit en sont morts. Peut-être a t-il lui aussi été parmi "ces frères d'armes"... Se sortir de la drogue étant un long combat...



~charabia~ le 20-01-2008 à 00:00
 
1

Il faut être membre du site afin de pouvoir débattre autour d'un article.